Sa parole dans les médias est rare. Depuis près de deux décennies, Arnaud Genty est pourtant devenu un élément incontournable du GF38 et un rouage essentiel dans sa reconstruction et son retour dans le monde professionnel. Juste avant le match contre Dunkerque, l’entraîneur des gardiens grenoblois, qui s’occupe également de tout le travail vidéo autour des coups de pied arrêtés, s’est longuement confié. Entretien.

Arnaud, peut-on commencer par un petit point « historique » sur ta présence au sein du GF38 ?

«  Je suis arrivé en 1988 au club. J’étais U15. J’ai fait toutes mes classes ici jusqu’à jouer en équipe première. J’ai joué 4 ans en équipe première jusqu’en 1998. Ensuite, je me suis expatrié un an au Gazélec d’Ajaccio, un an à Saint-Quentin en Picardie. Puis je suis revenu comme éducateur des gardiens ici. Mais le soir, comme ça. J’avais un travail à côté, je n’étais pas embauché au club et c’est ces saisons-là que j’ai joué à l’US Abbaye., pendant 4 ans (où il a côtoyé Micka Diaferia, également gardien, pendant deux saisons). Puis Grenoble m’a embauché en 2006 comme éducateur au centre de formation où là j’avais l’équipe des 17 ans et les gardiens. Et depuis 2011, je suis avec les gardiens de l’équipe première et aussi responsable des gardiens du club avec Gilles Pouleio qui me donne un gros coup de main. »

Est-ce que lors de toutes ces années, il y a des moments où tu as voulu faire autre chose ou est-ce qu’on t’a éventuellement démarché ?

« D’autres clubs m’ont sollicité ; oui. J’ai toujours choisi de rester ici, soit parce que les propositions n’étaient pas suffisamment alléchantes, soit parce que je considère aussi que ça peut être un luxe de travailler dans le foot et d’être chez soi. Cela peut être vu comme un handicap également, mais on peut prendre le verre à moitié plein. Des coachs m’ont toujours dit qu’il fallait un moment bouger dans sa vie de footballeur ou de coach pour découvrir d’autres choses. Et je pense aussi que le fait de bouger beaucoup fait qu’à un moment vous vous retrouvez dans le bon club, au bon moment et c’est ce qui peut être un tremplin pour vous. Je sais très bien qu’ici pour toucher la Ligue 1 c’est plus compliqué. Peut-être que si j’étais parti il y a quelques années j’aurais peut-être pu être dans le bon club au bon moment mais je n’ai pas de frustration par rapport à ça. »

C’est un doux euphémisme de dire que tu n’es pas très « médiatique », est-ce que tu penses que ces sollicitations signifient que tu as une petite cote dans le milieu des entraîneurs des gardiens ?

« Ce n’est pas que ça mais ce sont surtout des sollicitations avec les coachs qui sont passés par ici et qui ont voulu m’emmener avec eux, tout simplement. Mais après c’est vrai que je ne suis pas médiatique. Je fais mon travail, je ne suis pas trop réseaux sociaux, je ne suis pas à poster des vidéos des entraînements par exemple. Je ne suis pas du tout là-dedans, ce n’est pas mon truc. Peut-être que je ne sais pas me vendre mais je ne pense pas du tout à ça. »

C’est peut être dur pour toi de t’exprimer sur toi en tout cas les retours des gardiens passés par le club sont élogieux, notamment sur ta capacité à les faire progresser…

« C’est la plus belle récompense. Dans ce métier, l’autosatisfaction n’est pas trop recommandée, sinon, on a tendance à s’endormir sur ses lauriers. Mais ça fait toujours plaisir d’entendre que les gardiens se sont sentis progresser ici, qu’ils ont bien vécu leur passage à Grenoble, dans notre club. »

Pour coller à l’actu, le GF38 reste sur sa plus lourde défaite (3-0 à Guingamp, ndlr). Quel genre de discours on tient avec son gardien à ce moment là ? On positive plus,  au contraire on appuie où ça fait mal ?

« On essaie d’être moins binaire que ça, c’est pas mauvais ou bon, on analyse en essayant d’être le plus clairvoyant possible, le plus pragmatique possible. Avec Mamadou, Bobby quand il joue ou à l’époque de Brice. Avec tous les gardiens, c’est comme ça. Vous savez, un gardien ce n’est pas comme un attaquant. L’attaquant qui met trois buts et qui rate trois occasions, il a fait un super match. Le gardien qui fait deux arrêts et qui prend trois buts, on ne peut pas dire qu’il a fait un bon match. La frustration est quotidienne, elle est constante. Il faut apprendre à vivre avec et il faut essayer d’être le plus juste. On part du principe que 95% des ballons s’arrêtent si on fait la bonne action, qu’on est bien placé ou qu’on a la bonne anticipation, le bon geste technique. Pour autant, le gardien de but qui fait 80% d’arrêts dans l’année, fait une super saison. Ce delta de 80 à 95, il faut vivre avec. Plus lourde défaite, pas plus lourde défaite, on analyse le match, on analyse toutes les actions offensives, défensives de chaque match. Mamadou, c’est un jeune gardien qui a encore une belle marge de progression. Il a plein de choses à travailler, à peaufiner, à améliorer, à fiabiliser et on travaille là-dessus. Bien sûr les résultats sont importants mais si on ne s’arrête qu’à eux avec un gardien de 24 ans, je pense qu’on se trompe. On est dans le développement et si on le développe correctement, il devrait être de plus en plus fort. Tout simplement. »

C’était une évidence pour toi après le départ de Brice Maubleu que ce soit Mamadou n°1 directement ?

« L’évidence, non. Cela a été un petit peu prématuré. Quand Mamadou est arrivé il y a deux ans, j’ai dit à ma direction dans deux ans, ce sera le n°2 chez nous parce qu’il a le potentiel pour. Il va travailler, il va progresser et je vous ferai de ce gardien le n°2 à coup sûr dans deux ans ». Là ça fait deux ans, il est n°1, donc on a un petit peu grillé quelques étapes. D’un côté ça peut être un petit risque pour le club mais de l’autre pour lui c’est une progression en accéléré parce que le meilleur moyen de progresser, c’est de faire des matchs. L’évidence est sur le potentiel. Mais le poste de gardien de but, on doit faire attention dans un championnat comme le nôtre, avec sa densité, son homogénéité. On a pris un petit risque tous ensemble, le staff, la direction, moi, Mamadou, parce qu’on l’a lancé. On va essayer de faire en sorte que ce risque soit payant. »

Pour ceux qui le découvrent avec la Ligue 2, il est tout de même assez bluffant même si tout n’est pas parfait. Toi qui le pratiques au quotidien, tu n’es forcément pas surpris…

« Non je suis pas surpris. On a des choses très précises. On ne peut pas rentrer dans les détails,  il faudrait qu’on reste ensemble plusieurs heures pour discuter de tout. Mais le potentiel athlétique, il est certain. Il est grand, il est vif, il est félin, il est souple. C’est toutes les qualités que doit avoir un gardien de haut niveau aujourd’hui. Là-dessus il est complètement dans les clous même si on lui a fait quand même prendre 5 kilos de muscles en deux ans et qu’il lui en manque encore 1 ou 2. Donc ça c’est un gros travail qu’on fait en musculation. Après il avait des grosses lacunes techniques et là-dessus on travaille, on essaie de fiabiliser, de rendre la chose très régulière, très précise. Sur le plan tactique, ce sont les choix : je sors, j’anticipe, je reste dans mon but, je joue haut, je joue bas…. Là où j’avais le plus de doutes sur Mamadou, c’était l’aspect mental. Comment je vais gérer la succession de Brice ? Comment je vais débuter dans la carrière de gardien de but professionnel ? Comment je vais gérer le fait d’être international mauritanien alors qu’il y a trois mois, j’étais en Régional 1 à Grenoble. Et là-dessus, je suis plutôt satisfait. Pour le moment, on n’a pas l’impression qu’il joue avec la pression même s’il y a eu quelques couacs, quelques erreurs de commises, comme beaucoup de gardiens du championnat commettent des erreurs. Mamadou est comme il doit être. »

On parle de données athlétique, de données tactiques. Est-ce qu’il y a une part d’humain aussi dans la construction de ton groupe quand tu vas choisir un n°3, un n°2, par exemple ?

« Oui, je pense que c’est très important. L’équilibre entre les 3 gardiens ou 4, pour certains clubs, c’est primordial. Il faut des bons gars, des gars qui adhèrent au discours. Quand un gardien arrive, pour moi c’est très clair, il y a des valeurs avec lesquelles on ne transige pas. C’est tout à l’honneur, par exemple d’un garçon comme Bobby ou comme Maxime qui sont là ou comme Esteban quand il est arrivé. Accepter la remise en question. Même un n°2 ou un n°3 mon but c’est de le relancer, c’est de le remettre dans le circuit, de le faire progresser. Mais quand vous vous appelez Bobby Alain, que vous avez 30 ans, que vous arrivez dans un club, il faut accepter la remise en question. Il faut accepter de s’entendre dire que ce que tu fais, ce n’est pas bon. Même avec Brice que j’ai eu pendant plus de 15 ans on se dit les choses. Alors chacun a son caractère. Avec Esteban, on pouvait être très frontal et très direct, avec Brice il fallait être très pudique, avec Bobby il faut discuter. C’est mon travail de cerner la personnalité des gens que j’ai en face de moi, de trouver le bon angle d’attaque. Mais la remise en question, elle doit faire partie de leur quotidien, parce que le poste le demande aussi. Je veux des gars qui arrivent et qui ont l’humilité de se dire qu’ils peuvent encore progresser, même à 30 ans. »

Est-ce quelqu’un de particulier qui t’a donné envie de devenir entraîneur ?

« Pas vraiment. J’avais un petit frère qui était aussi gardien et ce que les coachs m’apprenaient à l’époque, je lui faisais bosser derrière. Donc je faisais un petit peu de l’imitation de coaching de gardien de but déjà très jeune. Même quand j’étais titulaire à Grenoble en équipe première, je changeais de vêtements à la fin de nos séances puis j’allais entraîner les gardiens du club. J’aime transmettre les choses qu’on m’a apprises. J’ai toujours été comme ça donc ce n’est pas une personne en particulier, c’est venu tout seul. »

Comment as-tu vécu le départ de Brice cet été ?

« Mieux que ce que j’aurais pu le penser. Vous imaginez 15 ans à se côtoyer… Les premières images que j’ai de Brice, c’est un garçon qui n’arrive pas à faire de sauts à la corde consécutifs. Il est arrivé à 15 ans, il est reparti à 33. Vous imaginez bien que des liens se créent même s’il y a toujours eu une relation très pudique entre nous. On n’est jamais allé boire un coup en dehors du club ensemble parce qu’on a gardé une distance et je pense que cette distance qu’on a gardé entre nous a fait qu’on a pu durer autant ensemble.

Sur son départ, j’ai senti tout de suite au téléphone, quand il m’a parlé de Saint-Étienne, qu’il voulait y aller. Il avait eu d’autres sollicitations avant mais là, j’ai senti qu’il voulait y aller. C’est un garçon qui a pris le temps de la réflexion. Il a pesé le pour le contre j’imagine. Il savait ce qu’il avait ici. Et comment je le vis moi ? Comme un petit défi. On peut se dire en tant qu’entraîneur des gardiens à Grenoble on a Brice Maubleu, donc je ne vais pas en glander une, il va faire sa saison et personne ne va rien nous dire. Cela m’a peut être mis à moi aussi un petit coup de pied au cul. On démarre avec un jeune gardien, ce n’est pas arrivé depuis très longtemps ici au club. Et c’est un petit défi. »

Les relations entre le gardien n°1 et le 2 voir le 3 sont primordiales dans un club, on le voit surtout quand ça se passe mal d’ailleurs…

« Ça peut être vite une catastrophe. Même dans des clubs comme le PSG ou le Real, on a vu qu’à vouloir faire une hiérarchie un petit peu floue que cela pouvait fragiliser les gardiens, même des gardiens qui sont aussi forts mentalement que ce que pouvaient être Navas et Courtois. Nous la hiérarchie est établie mais elle n’est pas figée. C’est une concurrence saine et loyale avec des gars qui s’encouragent entre eux. Ils bossent ensemble, ils souffrent ensemble. J’ai vu Brice se lever du banc de touche et applaudir Esteban quand Esteban faisait un arrêt et l’inverse. Je le vois encore cette année, ça c’est une grande satisfaction. Vous imaginez bien quand vous êtes gardien professionnel, vous voulez jouer. J’imagine que Bobby aimerait jouer, j’imagine que Maxime aimerait jouer. Quand les choses sont claires, si un jour ça doit arriver, ça arrivera. Et Mamadou l’acceptera. Parce qu’entre nous, tout est franc, tout est clair, il y a pas de non-dit, il n’y a pas de coups bas. On se dit les choses et celui qui sort de ce cadre-là, cela ne le fait pas. »

On a beaucoup parlé de ta casquette d’entraîneur des gardiens mais ton travail autour des coups de pied arrêtés a souvent été valorisé par Oswald Tanchot et des joueurs depuis le début de la saison. Peux-tu nous en dire plus sur cette partie de ton job ?

« Au départ, quand Olivier Guéguan était entraineur, on n’avait pas trop de moyens donc je m’occupais de la vidéo, un petit peu de l’adversaire. Puis quand Philippe Hinschberger est arrivé, il nous a demandé ce qu’on faisait et il a continué dans ce schéma là en donnant à Francis (De Percin, ndlr) les coups de pied arrêtés. Au bout de deux mois, on a fait un petit bilan et j’ai dit à Philippe que ce serait un peu plus cohérent que moi je m’occupe des coups de pied arrêtés en tant que entraîneur des gardiens et que Francis s’occupe plutôt des aspects offensifs, défensifs de l’équipe. Cela a tout de suite été validé. Ensuite je me suis construit comme ça, tout seul sur le tas.

Depuis cette année, il y a Adrien Bister, notre nouvel analyse vidéo qui nous dégrossit le boulot. Comment se passe ? Il faut toujours avoir un match d’avance, donc sur une semaine à 3 matchs c’est beaucoup de travail. On regarde en moyenne entre 50 et 60 corners offensifs, défensifs, coup-francs, pénaltys et tout le tralala. Mon objectif c’est d’arriver à cerner les forces de l’adversaire et de trouver le moyen de les contrer et à l’inverse de trouver quelques failles et d’arriver à les exploiter. Mon objectif, c’est qu’on touche le ballon avant l’adversaire sur un corner par exemple. Après ce n’est pas moi qui peux marquer les buts (sourire). Sur la volée de Dante j’estime avoir fait mon travail parce qu’on savait que cette zone pouvait être libre et on l’a tenté. Ça a super bien marché mais pour marquer il faut que les planètes soient alignées.

Après on présente un petit montage vidéo le matin du match avec Oswald. On affiche ça dans le vestiaire, on les travaille toujours en dernière séance. Il y a des coachs qui insistent un peu plus que d’autres sur le nombre de coups de pied arrêtés qu’on doit frapper à l’entraînement. Il faut arriver à intéresser les joueurs parce que ça peut être un peu barbant pour eux. C’est toujours en fin de séance, on essaie de varier la façon dont on les travaille. Un coup on le fait avec opposition, puis sans opposition, un coup on ne fait que du tableau noir, un coup on le fait sous forme de jeu… On essaie un petit peu de les éveiller comme ça. Quand on arrive à marquer un but ou quand les joueurs sentent que ça marche, ça donne deux semaines de crédit supplémentaires.

Sur le but de Dante, on avait frappé 5 ou 6 corners avant déjà et je sentais que c’était le moment de le tenter. Mais les joueurs ont toujours un petit peu du mal à vouloir tenter les combinaisons, ils sont un peu craintifs avec ça. Donc je me suis levé du banc, j’ai poussé les gars à rentrer dans les 5,50, j’ai demandé à Théo et à Dante de changer de position pour que ce dernier soit sur son bon pied. Alors c’est vrai qu’on aurait un peu dit Louis de Funès dans Rabbi Jacob parce que ce ce coup-là je suis beaucoup intervenu avant que le corner soit frappé. Pour marquer sur coup de pied arrêté, il faut beaucoup de discipline, il faut des joueurs qui acceptent de se sacrifier. Ce n’est pas facile de dire à un attaquant, tu vas te sacrifier, tu ne marqueras pas sur ce corner.

Voilà, c’est ça mon travail. Même si on ne marque pas sur 8 ou 9 coups de pied arrêts on a touché 6 ou 7 fois le ballon, en trouvant les bonnes zones, ça veut dire qu’on a trouvé les fragilités et qu’il nous a manqué juste un petit peu de clairvoyance ou de justesse dans la finition ou de l’engagement et de la détermination. C’est au final une somme de petits détails qui font que sur une saison on essaye de faire en sorte que la balance penche de notre côté. »

Tu parlais de remise en question continue chez les joueurs. Cela vaut aussi pour toi, dans ta manière de transmettre par exemple ?

« Le fait qu’on ait aussi changé d’entraîneur assez régulièrement nous met en éveil également. Que ce soit avec Olivier, Philippe ou Oswald maintenant on a la chance d’avoir des entraîneurs qui laissent beaucoup de liberté, qui nous responsabilisent beaucoup. Ils nous font confiance, on discute, on échange. Et ça, c’est un luxe pour les membres d’un staff. Après, à nous de rendre cette confiance et ça c’est en travaillant, en essayant de se renouveler. »

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